lundi 12 novembre 2012

Francesco José de GOYA y Lucientes


Museo del Prado - Retiro

Ruiz de Alarcón 23, 28014 Madrid
02.04.2010 (mis à jour le 18.03.2011)
 
Francesco José de GOYA y Lucientes

Saturne dévorant son fils



Pendant que nous dansons à Rome où, au début de janvier, on fête les Saturnales, fêtes créées par Janus le dieu à deux visages, au cours desquels tous les interdits tombent.
Ces moments ne respiraient que la joie et le plaisir, les actes de cruauté, de punition ou même d’exercer un art, furent suspendus, sauf celui de faire la cuisine !
Alors vous pensez, peut-être, à un repas funeste, que l’on mange, pendant ces jours-là, sa progéniture.



Nous ne sommes plus aux temps du cannibalisme, heureusement, ou, hélas comme le cœur vous en dit. Petite définition ou remarque approprié sur Le Cannibalisme, plus loin dans la page…
Mais ceci est une peinture de l’illustre Francesco de GOYA !
Cette puissante peinture expressive, « Saturne dévorant son fils », appartenant à la célèbre série des « peintures noires », nous inspire comme un mauvais présage si nous n’avions pas oublié d’être au prestigieux Musée du Prado à Madrid, face à un beau et solide cadre, qui fixe cette créature définitivement, ancrée, là, où nous sommes hors de sa portée. Rassurant ?



Et puis, cette toile, finalement, éveille plus notre curiosité qu’elle ne nous fait peur. L’envie de percer ce secret, d’en savoir davantage nous emporte. Un Saturne de nos jour étant plutôt rare. Nous voudrions découvrir plus sur ces coups de brosses à la prédominance des tons sombres de l’artiste où, dans une lumière ténébreuse, Saturne, effrayé de lui-même, littéralement tétanisé, commet le sacrilège, porte de ses mains gigantesques, serrées comme des tenailles autour d’un corps, déjà las et abandonné à son sort, sans tête, à moitie dévoré, un de ses enfant à sa bouche grimaçante, immense, qui nous rappelle douloureusement un certain CRI.



Un Cri, transmit de Goya à Saturne où se rejoint, se confond le pathétique du monde et la mythologie dans toute sa splendeur, dans toute sa force !
Dans une peinture absolument osée, dont la facture s’exprime aussi cruelle (ment) que l’objet répréhensible est représenté.
Goya, peignant Saturne qui exhibe un corps monstrueux, difforme qui n’a certainement pas jouit des proportions selon » la règle d’or », réussit à lui donner un présence extraordinaire.
Et, c’est là que réside toute la magie de l’art naissant du pinceau de Goya ; montrant Saturne, sortant du cadre, se jetant sur nous, penché dangereusement à notre encontre. Comme s’il voulait nous avaler aussi.

Ceci est le secret des peintres : dont chacun garde jalousement la » recette », et que les grands esprits, tentent de décortiquer, catégoriser, classer et l’expliquer, articuler l’imprononçable, sans émotion, après. C’est leur travail.

Sans oublier, qu’une fois la peinture commencée, c’est la toile qui impose sa volonté, c’est « l’autre » qui s’exprime à l’insu de l’artiste, dans le sacrifice. La toile naît mystérieusement sous les coups du pinceau, elle apparaît lentement comme lorsque l’on (développa !) encore une photo dans son bain de révélateur. C’est cela, la toile, se révèle littéralement. Ceci est dû a une alchimie que personne ne saurait expliquer, même pas l’artiste car il est devenu l’instrument, l’autre, il y a laissée un part de sa vie, nécessairement, l’exécuteur de ce testament, cette trace laissée dans l’histoire qui nous enchante ou nous fait peur, mais ne néglige jamais, de nous interpeller, de nous faire entrevoir la richesse d’une création.

L’exagération des dimension, trichant sciemment avec les perspectives, annihilant toutes traditions académiques (pour un président de l’académie !), pour dégager le sujet pur, celui qui ne pouvait être montré autrement dans cette représentation ou dans cet acte horrible qu’est la cannibalisme.
Saturne, à l’évidence, faisait une exception, car nous voyons bien qu’il dévore de la chair crue, or, les « vrais cannibales » furent plus décents, la rôtissaient par le menu avant de l’engloutir, et pas pour s’en nourrir, non, c’est pour représenter une pure vengeance ou pour s’en approprier la force, la vaillance de l’adversaire vaincu. Toute une culture, dans un autre contexte, quoique.. On appelle habituellement barbarie, ce qui n’est pas de son usage.
Pas de son usage ? De qui ? À se renseigner dans un autre chapitre…car être sauvage ne serait-il pas plutôt ce que nous avons altéré par notre artifice, détourné de l’ordre commun. Eux, ils les mangent sans autre artifice que de les cuire, une fois haché en pièce, et de les partager en commun, aussi lorsqu’ils savouraient leurs ancêtres pour s’approprier leur âme et leur force, y trouvant encore le goût de leur propre chair.
À titre d’information, voir cannibalisme…





Retour à notre Saturne, devenu presque un ami à force de le contempler, pour l’inviter à notre table, histoire de lui apprendre les manières… à manger d’une façon civilisée. Comme nous ?
Monstruosité maîtrisée dans un regard fou et sauvage, sanguinaire, dont on pourrait imaginer la couleur sans la voir ! Dans une grimace douloureuse, allant au-delà de l’apparence, y mettant toute la cruauté requise, non seulement celles des dieux mais surtout celles des hommes (voir les peintures de Delacroix et d’autres maîtres, peintres d’époque, pour s’en persuader, les peintures descriptives, d’après les grandes boucheries, témoignages de l’histoire, de faits de guerres, massacres, tête tranchée portée sur un plateau ou la brandissant au bout du bras, à la main, triomphant), vous vous en souvenez ? Dois- je citer les « coupables » par leur nom?
Témoin de l’éternelle sauvagerie de l’homme, transformée en ART. Sauvagerie perpétrée par des êtres humains, quand ils sentent le Loup affamé, quand ils fondent dans leur sauvagerie pour éteindre leur soif de sang!

Jusqu’à ce que la veine vienne, docile et doux, s’offrir à la lame mortelle avec une douceur pathétique et désespérée d’une bête traquée qui renonce, s’abandonne à son sort.
Nostalgie obscure des anciennes cérémonies du sacrifice, habitant l’âme éternellement obscure des humains comme chez les bêtes, leur sens mystique de la mort, quand l’œil devient obscur, luisant, profond, leur regard reflétant le mystère. Un regard, empli d’une folie concentrée de cruauté, derrière laquelle on devine la triste mansuétude des bêtes sauvages, leur mystérieuse innocence et leur terrible pitié, et l’espérance d’une renonciation, d’un abandon de la cruauté, propre à l’homme.
Joie féroce, vive et impétueuse, quand tu nous tient, il parait difficile de s’en débarrasser.



La peinture est au féminin, vous l’avez remarqué. À ouvrir page par page pour la connaître. La découvrir comme un livre. Ne cessez pas la lecture, ne rompez pas le fil, sinon le charme s’évanouit. Restez un lecteur assidu et fidèle, elle vous récompensera, la peinture.
Vous l’aurez saisie, éprouvée, assimilée, ressentie, elle vous laissera haletant de cette expérience et vous ouvre les yeux sur les secrets de la fibre culturelle.



Quand la culture vous offre la gorge, docile, quand elle se rend, corps et âme à vos aspirations, vous éprouverez cette nourriture à ne plus pouvoir vous en passer. D’exposition en exposition vous prélèverez les essences, rentrant dans le cercle magique des immortels. Vous ne serez plus jamais le ou la même.

Goya nous a permis ce regard sur sa création divinement féroce qui délivre avec un seul tableau toutes les monstruosités possibles de l’homme, enfermées au tréfonds de son âme et dont il ne perd jamais la clé !

GOYA a mis toute la violence dans cet acte perpétré par Saturne, qui, d’ailleurs, ne s’arrêta point à ce seul crime. Craignant d’être détrôné un jour par un de se propres enfants, ils les dévora tous et émascula son propre père d’un coup de faucille, net.
Saturne, fils de Gaïa et d’Ouranos, appartient à la deuxième génération divine, aux TITANS. Il épousa sa sœur et devint le père des Olympiens. Voila pour l’histoire.
Et Francesco de GOYA, il a vu le jour le 30 mars 1746 à Fuendetodos près de Saragosse, et mourut le 16 avril 1828 à Bordeaux. Illustre peintre et graveur espagnol du 17siècle, venu d’une famille de paysanne pauvres et modeste. Il fit ses études d’art à Saragosse. Artiste peintre de la cours et président de l’académie ( !), il resta cependant un incorruptible réaliste et dénonça les horreurs de la guerre de son temps. Plus tard, devenu sourd, il se retira dans sa maison de campagne et passa ses dernières années en France, dans la douce France.



Si cette peinture, au sujet démesuré, inspire un frisson aux âmes sensible, elle n’a rien à envier du « gore » d’aujourd’hui, au contraire, cela prouve qu’en 1819, la peinture fut déjà un peu « expressive », et Goya ne fut pas le seul, il savait déjà remarquablement dénoncer la violence, et léguait son inspiration aux futurs expressionnistes.
Rendons un dernier hommage à Francesco de GOYA. Restons avec lui et Saturne, malgré la diversité de sa création dont chaque toile serait une histoire à part, il n’y aurait pas assez de feuilles pour les couvrir de leur importance.



À citer quand même : La Maja vestida et La Maja desnuda * Autres toiles devenues célèbres pour une autre raison.



Lors d’une exposition, Goya, très malin, avait installé un subtil mécanisme dans le cadre qui permettait de voir *la Maja
 
alternativement habillée ou nue, il suffisait de choisir, selon sa préférence. (Très ingénieux) Ce qui, bien sûr, provoqua un scandale et lui attira les foudres des redoutables censeurs de l’inquisition. La toile fut frappée d’obscénité par un tribunal de l’Ordre !

Saturne nous impressionne. Son corps athlétique et titanesque, suscite un être qui représenterait l’abattoir de la mythologie. Heureusement que tous les Titans n’étaient pas comme lui.
Son corps a l’aspect d’une racine émergée de la terre, devenu folle, menaçante, dressée entre terre et ciel, apparaissant sur un fond clair-obscur, grâce à la suggestivité de la lumière, incarné de couleurs brunâtres et rouges qui soulignent sa force démesurée, d’où surgit le monstrueux Saturne qui impose à nos yeux exaltés. Tout dans la facture de cette toile concourt à en faire une des premières œuvres expressionnistes du 19ième siècle.

Regardez encore une fois, de quelle façon il saisit sa proie . Dans ces grandes « griffes » durement serrées « d’aigle » farouche, qui a fondu sur sa victime avec, même, une impression de peur, de frayeur, qu’elle pût lui échapper. Alors il l’entoure de son étau terrible, impitoyable, la saisit par la taille pour ne pas lâcher prise. Ses yeux exorbités dont la froideur brûlante a fait tomber les paupières, affichent l’extase, la volupté, la soif de sang, l’œil rayonnant dans sa férocité, déjà à l’affût d’un prochain repas..

Malgré toute cette beauté contenue dans la violence, qui aimerait le rencontrer ? Accroché à nos cimaises, il ferait partie de nos plus beaux cauchemars. Peut-être qu’il se sent plus à l’aise dans son Musée/Prison qui le flatte de sa grandeur, qui lui offre un endroit décent et solide pour dompter la férocité de son rayonnement. Comme un fauve dans sa cage qui ne peut pas nous atteindre.



Oui, il fallait le cadre d’un Musée pour contenir cette créature.
Heureusement, que GOYA y avait pourvu, et il l’a cadré, cadenassé, verrouillé à double tour, sagement, lui interdisant de continuer ses funestes repas. À moins que cela ne fût Monsieur le Conservateur du Prado qui l’ait maîtrisé, dans un cadre doré ?

Oeil von Lynx- mars 2010

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